Les gestes d’affection sont-ils universels? (2024)

Les caresses, les étreintes, les baisers, l’enlacement des mains, tous ces gestes d’affection qu’on utilise pour signifier à l’élu ou l’élue de notre cœur qu’on l’aime, pour lui témoigner tous les sentiments qui nous animent semblent si naturels qu’on les croit innés. Mais ces gestes sont-ils vraiment inscrits dans notre biologie, dans nos gènes? Des scientifiques tentent de démystifier l’origine de ces gestes qui procurent la félicité tant recherchée.

Toucher affectueusem*nt les personnes qu’on aime est assurément un comportement répandu à travers le monde entier. «Partout, les humains touchent les personnes [qu’ils apprécient] pour exprimer l’affection qu’ils éprouvent pour elles. Ce comportement est universel. Nous voyons ce comportement non seulement à travers les différentes cultures humaines, mais aussi à travers les espèces. Cette universalité indique que cette propension pour le toucher affectueux est inscrite dans notre biologie et que certains des mécanismes qui induisent ces comportements ont été conservés au cours de l’évolution», affirme Kristina Tchalova, associée de recherche en psychologie sociale à l’Université McGill.

Toutefois, il y aurait certaines différences culturelles dans la façon d’exprimer notre affection par le toucher. Ces distinctions se manifesteraient en fonction de ce qu’une culture considère comme approprié en matière de type de toucher, d’intensité de toucher et de lieu (en public ou strictement en privé) pour prodiguer ces marques d’attachement.

Mais quels sont les mécanismes biologiques qui permettraient d’affirmer que le recours au toucher pour exprimer l’amour que l’on éprouve pour quelqu’un est probablement inscrit dans nos gènes?

MmeTchalova rappelle d’abord que la peau des mammifères est dotée d’une classe de récepteurs et de fibres nerveuses, appelés afférences tactiles C, qui réagissent spécifiquement aux stimulations combinant une légère pression et une vitesse lente d’environ trois centimètres par seconde, qui correspondent à celles d’une douce caresse le plus souvent perçue comme plaisante. «C’est exactement la pression et la vitesse de toucher que les gens ont tendance à utiliser instinctivement quand ils caressent leur être cher alors qu’ils sont assis sur le canapé, par exemple. Nous savons tous instinctivement comment toucher notre bien-aimé de façon à stimuler spécifiquement les fibres nerveuses qui communiquent avec les parties du cerveau qui induisent le plaisir», fait-elle remarquer.

Par ailleurs, plusieurs espèces de primates non humains pratiquent le toilettage social où deux individus s’appliquent à nettoyer la fourrure de l’autre et à le débarrasser de parasites. Cette activité qui implique d’abondantes stimulations tactiles et qui est reconnue pour renforcer les relations entre les individus montre là aussi que l’utilisation du toucher est universelle, même à travers les espèces, souligne la scientifique.

Des chercheurs ont découvert qu’une séance de toilettage social induisait la libération de bêta-endorphine, un opioïde endogène qui induit une sensation plaisante, apaisante et analgésique, chez les animaux qui la pratiquaient. Ils ont également observé que, lorsqu’ils administraient de la naloxone, un médicament qui neutralise les effets des opioïdes, à de jeunes singes, ces derniers réclamaient toujours plus de contact et de moments de toilettage avec leur mère. «Les petit* singes tentaient désespérément de retrouver l’effet plaisant et apaisant qu’ils éprouvaient habituellement quand ils se faisaient câliner et toiletter par leur mère», explique MmeTchalova.

« Ce mécanisme biologique s’assure que nous restons près de l’individu avec lequel nous avons une relation. [Et pour maintenir ce lien], nous avons besoin de recevoir une récompense, de nous sentir bien près de l’autre, mais aussi de ressentir de la douleur quand l’autre est loin de nous ou que nous en sommes séparés. La douleur est une partie très importante de l’attachement», relève la chercheuse.

Or, le système opioïde est responsable de l’effet plaisant et il joue également un rôle dans la douleur, souligne-t-elle. «Quand les animaux étaient séparés de l’individu auquel ils étaient attachés, il se produisait un phénomène semblable au syndrome de sevrage aux opiacés qui contribuait à cette sensation de douleur qui poussait les animaux à essayer de rétablir la proximité avec l’objet d’attachement. Bien que toutes ces observations aient été faites chez des espèces non humaines, nous présumons l’existence d’un phénomène presque similaire chez l’humain», précise la scientifique.

Les bébés et les enfants sont complètement sans défense et entièrement dépendants de leur mère pour avoir de la protection. «Dans le passé, lorsqu’il n’y avait pas ces belles garderies et que les humains vivaient dans des environnements plus dangereux où rôdaient les prédateurs, les enfants devaient absolument rester près de leur mère. Pour cette raison, nous pensons que ces mécanismes biologiques sont inscrits dans notre code génétique», affirme MmeTchalova.

On sait aussi que certaines stimulations tactiles provoquent la libérationd’ocytocine, qu’on a jadis surnommée l’hormone de l’amour. Chez les espèces non humaines, il a été démontré que l’ocytocine promeut les liens sociaux. Chez l’humain, son action serait plus complexe.L’ocytocine élèverait notre sensibilité aux stimuli sociaux présents dans notre environnement et augmenterait notre motivation à nous engager si la nature de notre environnement social est adéquate. «Les opioïdes et l’ocytocine travaillent probablement ensemble. Peut-être que si vous êtes avec votre partenaire, l’ocytocine focalise votre attention sur lui et les opioïdes vous signifient que cette interaction est très plaisante», avance la chercheuse.

Cette propension instinctive àtoucher la personne aimée a donc pour fonction de cimenter nos relations avec l’autre, à nous motiver à demeurer près d’elle. Mais elle a aussi une autre fonction physiologique, soit celle «de nous aider à réguler notre réponse aux événements stressants. Elle tend à nous rappeler que nous sommes en sécurité avec notre être cher. Des expériences ont montré que le cortex préfrontal ventromédian, qui joue un rôle dans l’émission de ces signaux sécurisants, s’active quand nous voyons un danger s’éloigner, de même que quand nous voyons des images de la personne à laquelle nous sommes attachés», souligne la chercheuse.

Le toucher est sans contredit vital dans le développement de l’attachement et, de ce fait, son utilisation est sans aucun doute universelle. «Étant donné son importance, étant donné que les primates non humains y ont aussi recours, nous pouvons présumer de façon assez certaine que nos ancêtres utilisaient le toucher pour manifester leur affection», affirme MmeTchalova.

Les formes de toucher seraient quant à elles plus culturelles. Le baiser romantique, par exemple, ne serait pas pratiqué dans la majorité des sociétés humaines (46% des 168 cultures étudiées par William R. Jankowiak, de l’Université du Nevada à Las Vegas).Les populations de chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui notamment ne s’embrassent pas. La prévalence de son utilisation semble corrélée à la complexité sociale de la société. «Plus une culture est complexe socialement, plus la fréquence du baiser romantique y est élevée», ont remarqué Jankowiak et ses collègues dans leur étude.

Le baiser romantique où les lèvres et la langue des deux partenaires sont en contact découlerait probablement d’un comportement maternel de soins aux nourrissons «pratiqué dès le début de l’évolution des homininés au Paléolithique et encore aujourd’hui par certaines cultures», rappelle Iulia Badescu, professeure adjointe au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal.

Les parents mâchaient les aliments, puis les poussaient avec leur langue dans la bouche de leur nourrisson. «Ce partage d’aliments prémâchés bouche à bouche a probablement été le premier type d’alimentation complémentaire [au lait maternel] donné aux nourrissons, qui a permis de sevrer plus rapidement les enfants du lait maternel et a ainsi contribué à l’essor démographique des homininés au début du Paléolithique», fait remarquer MmeBadescu.

Une chose est certaine, le besoin d’amour, lui, est universel.

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Author: Greg Kuvalis

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